Hommage à une grande amie, Madame Odile Tremblay.

L’hommage à Odile Tremblay s’est déroulé lors du souper d’ouverture du Festival, le samedi 26 octobre à Rouyn-Noranda où Daniel Bernard, député de Rouyn-Noranda -Témiscamingue a remis la Médaille du Député.

Texte Félix B. Desfossés

Odile Tremblay a peut-être cessé de publier ses fameuses chroniques dans les pages du journal Le Devoir en 2023, mais la journaliste culturelle émérite n’a pas écrit son dernier mot. Au contraire, c’est maintenant le monde de la création littéraire qui l’attend. Ainsi, en 2024, c’est à titre d’artiste que le Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue (FCIAT) l’accueille de nouveau, comme si c’était la première fois.

 

Pour Jacques Matte, président du FCIAT, Odile Tremblay a toujours brillé par la qualité de son journalisme culturel et de ses chroniques. « C’était un peu la dernière des Mohican à avoir la classe, la culture et la connaissance nécessaires pour faire ce métier », dit-il. L’érudition impressionnante de Mme Tremblay est effectivement un trait professionnel souligné par de nombreux pairs. Mais pour celles et ceux qui, comme Jacques, se sont retrouvés face à elle, de l’autre côté de l’enregistreuse, le moment pouvait être plutôt stressant. M. Matte a donné des centaines, voire des milliers d’entrevues à propos du FCIAT en près de 45 ans, il a donc l’habitude. Mais lorsqu’une entrevue avec Odile Tremblay figurait à son agenda, le président savait qu’il devait bien s’atteler. « Il fallait que je sois bien préparé, confie-t-il. Elle connaissait toujours bien la programmation, en profondeur, et il fallait entrer dans les détails avec elle. Ça m’énervait, ça m’achalait, parce qu’il fallait que je sois à la hauteur. Je devais être préparé. C’était parmi les 5 étoiles des médias. »

 

L’ascension

Née à Québec, Odile Tremblay fait ses études secondaires dans le secteur de Sillery puis obtient son diplôme d’études collégiales au Cégep François-Xavier-Garneau. À l’origine, elle ne se destine pas à une carrière en journalisme. C’est plutôt l’ethnologie qu’elle étudie à l’Université Laval, au département des Lettres. Ce parcours académique l’amène à travailler au Centre Attikamek-Montagnais où elle coordonne le centre de documentation. Elle obtient aussi le poste de co-directrice de la firme Correction Texte Plus. On constate que déjà, en début de carrière, la jeune femme a la rigueur et la connaissance approfondie de la langue française écrite nécessaires pour superviser un travail de rédaction.

 

Mme Tremblay débute graduellement dans le monde du journalisme à titre de pigiste. Son parcours, qu’elle considère elle-même sinueux, l’amène à toucher à plusieurs types de journalisme, que ce soit dans les domaines judiciaire, économique, scientifique, société ou féminisme. Elle écrit pour une variété de publications allant du Châtelaine au Bel âge, en passant par Québec Science. Odile collabore aussi à des émissions de radio et de télévision à Radio-Canada.

 

Entre 1985 et 1990, elle oriente graduellement son travail journalistique vers les arts, ce qui la mène au monde de la littérature pour le journal Le Devoir. Au tournant de la décennie, elle obtient le poste de directrice littéraire au Devoir, devenant responsable du cahier des livres et tenant une chronique littéraire. Elle occupe ce poste jusqu’à mars 1992.

 

Le cinéma

À ce moment, Mme Tremblay est sur le terrain à titre de reporter culturelle et, bien qu’elle couvre différentes disciplines artistiques, elle développe une passion pour le domaine cinématographique. Elle devient responsable de la section cinéma et le quotidien québécois l’envoie couvrir les grands festivals du 7e art, et ce, de par le monde. Elle couvre Cannes, Berlin, le Toronto International Film Festival (TIFF) et les festivals montréalais, tout comme elle couvre le Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue.

 

Odile et le FCIAT

La première fois qu’elle assiste au FCIAT, au cours de la première moitié des années 90, elle constate tout de suite que cet événement n’est pas comme les autres. Les événements internationaux comme Cannes ou le TIFF sont de véritables marathons pour les journalistes de sa trempe, estime-t-elle. Il y a des dizaines de films à voir, de nombreuses entrevues à mener et d’autant plus de textes à produire, tout en courant des salles de projections jusqu’à la chambre d’hôtel pour la rédaction. Bref, la journaliste expérimentée sait qu’un festival de la sorte signifie un déferlement de productivité accrue, une période intense où le repos est un luxe et où l’heure du lunch est quasi inexistante.

 

Au Festival du cinéma, par contre, l’atmosphère est toute autre. « L’ambiance est conviviale, mais vraiment conviviale, insiste-t-elle, dans le sens le plus noble du terme. Les bénévoles sont avec nous, la salle de presse est proche, on prend les repas ensemble, je peux me retrouver avec Louis Dallaire qui peut me conduire d’un endroit à l’autre en discutant de tout et de rien et j’adore apprendre sur l’histoire de l’Abitibi. »

 

D’ailleurs, ici, elle a fait des rencontres marquantes. Elle se souvient du légendaire Michel Pageau qu’elle a interviewé lors de la première du documentaire Il parle avec les loups. Elle a ensuite visité son refuge pour animaux plusieurs fois en compagnie du regretté personnage. Elle dit aussi avoir été grandement marquée par la première du documentaire Le peuple invisible de Richard Desjardins et Robert Monderie à laquelle des chefs autochtones avaient assisté puis lui avaient témoigné avec une puissante émotion de leur passé dans les pensionnats.

 

Bref, Odile Tremblay a assisté au Festival  à d’innombrables reprises, toujours avec cette idée toute simple, mais si importante, que ce festival lui faisait du bien.

 

Une voix unique

Prompte à s’immiscer dans un milieu pour en comprendre ses vérités et subtilités, Mme Tremblay développe une forme journalistique qui lui est propre; une voix informative unique et immersive. À mesure que les années 90 avancent, ses textes et chroniques sont vivement remarqués par le lectorat du Devoir. Non seulement les propos de la journaliste laissent-ils deviner une culture générale profonde et une érudition exemplaire, mais sa sensibilité au monde et aux humains qui l’entourent ainsi que la lucidité de son esprit analytique épatent. Et, comme le souligne Jacques Matte, en tant que critique et chroniqueuse culturelle, Mme Tremblay arrive « à passer ses messages sans être incisive, là où certains auraient crié au scandale ». 

 

Ainsi, en 1994, Odile Tremblay se voit décerner le prix Jules-Fournier, remis par le Conseil de la langue française, pour la qualité de sa prose. Nathalie Petrowski ou Jean-François Lisée, pour ne nommer qu’eux, sont des journalistes qui l’ont précédée à la réception de ce prestigieux prix. 

 

Dès 1995, Odile Tremblay décroche une chronique culturelle hebdomadaire dans laquelle on découvre davantage ses opinions. Souverainiste convaincue, elle met en valeur le cinéma d’ici, mais le questionne aussi. Elle sait mettre en perspective la création avec son époque tout en analysant les impacts de l’art sur la société. La scribe du Devoir s’établit comme l’une des voix incontournables du journalisme culturel québécois des années 90 et 2000. Son nom devient synonyme de qualité, de rigueur, de prestige. Sa chronique culturelle fait école et perdure de nombreuses années, devenant même bihebdomadaire en 2015. En 2017, elle quitte la direction de la section cinéma du Devoir pour se consacrer uniquement à l’écriture. 

 

La qualité de son travail est à nouveau soulignée en 2005 lorsqu’elle se voit décerner le prestigieux prix journalistique Judith-Jasmin dans la catégorie opinion pour une chronique proposant une réflexion sur l’héritage religieux du Québec et sa représentation au grand écran. Cette chronique, c’est l’exemple même du meilleur dont Mme Tremblay est capable; sa réflexion sur la création y est portée par la profondeur d’une analyse socio-historique.

La suite

Depuis 2023, après avoir officiellement quitté Le Devoir, Odile Tremblay a travaillé sur ce qui sera son premier livre. Intitulé Le bestiaire à pas perdus, le bouquin paraîtra officiellement le 12 novembre prochain aux éditions Boréal. Bref, il faut comprendre que la retraite, ce n’est pas pour elle! Après avoir consacré sa plume à la culture, elle passe maintenant de l’autre côté du rideau, du bord des artistes!

 

Pour toutes ces raisons, l’équipe du Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue rend aujourd’hui hommage à Odile Tremblay, l’une des plus grandes journalistes culturelles de l’histoire du Québec, dont la plume aura su communiquer avec brio les raisons d’être du festival et lui aura permis de rayonner à l’échelle nationale. Et plus loin encore, le FCIAT reconnaît l’inestimable contribution de Mme Tremblay à la diffusion de la culture d’ici et d’ailleurs, du cinéma à la littérature, en passant par le théâtre et l’art visuel. Mme Tremblay, merci.

Texte de Manon Dumais

Il y a une quinzaine d’années, lors de la réunion annuelle des rédacteurs en chef et des chefs de section des différentes versions de l’hebdomadaire Voir, on nous avait demandé de choisir un texte (entrevue, chronique ou critique) que nous trouvions inspirant et de le lire à voix haute à nos collègues. Je ne souviens plus quel en était le sujet, mais je me rappelle avoir choisi une chronique d’Odile parue dans le Devoir quelques jours avant la rencontre. J’avais à peine commencé à lire son texte qu’un silence respectueux s’était installé dans la salle. Quand j’ai eu terminé la lecture, mes collègues étaient émus devant tant de beauté. Tous avaient été impressionnés par la richesse de la langue, par la poésie qui se dégageait du texte, par la qualité de la réflexion et par l’immense culture qui s’y déployait. Ce jour-là, nous avions tous compris qu’Odile était une perle rare.

 

Odile et moi avons un point en commun : nous adorons Proust. Cela nous a d’ailleurs mérité le surnom des Madeleines de Proust de la part de notre confrère André Lavoie. Un jour, elle m’a confié qu’elle avait rencontré à Paris des membres du cercle des amis de Proust. Je me souviens avoir beaucoup ri en l’écoutant me raconter sa déception. Alors qu’Odile a tout lu Proust, plusieurs des personnes croisées n’avaient lu qu’un seul tome d’À la recherche du temps perdu. À elle seule, Odile en savait plus sur l’œuvre de Proust que tous les membres du cercle des amis de Proust réunis.

 

En 2012, peu avant de se rendre au Festival de Cannes, où allait être présenté Laurence Anyways, de Xavier Dolan, Odile, quelques confrères triés sur le volet et moi avions été invités à Paris par UniFrance pour faire quelques entrevues. Midi et soir, nous mangions tous ensemble et chaque fois, elle nous épatait en citant des extraits de la chanson de Roland, de chansons grivoises d’Aristide de Bruant ou de poèmes des plus grands auteurs français. Quelques jours plus tard, alors que nos confrères, dont notre regrettée outarde en chef Marc-André Lussier, comme elle le surnommait affectueusement, s’étaient rendus à Cannes, nous nous sommes retrouvées seules à Paris. Nous en avions profité notamment pour visiter le palais de Tokyo, où nous avions croisé le cinéaste Mathieu Roy, et les thermes de Cluny, où nous avions admiré les tapisseries de la dame à la licorne et assisté à un concert médiéval. Nous nous étions aussi recueillies sur les tombes de Truffaut et de la Goulue au cimetière de Montmartre où nous avions passé un après-midi à refaire le monde. Ne le dites pas à mon chum, qui est Français, mais ce fut mon plus beau séjour à Paris.

 

En 2014, au Festival de Cannes, j’étais dans un piteux état. Quelques jours auparavant, j’avais été cavalièrement virée du Voir où je travaillais depuis 2001. «Pauvre p’tite bête!», m’avait-elle dit en me voyant. Puis, elle m’avait invitée à dîner pour que je lui raconte ce qui s’était passé. «Pauvre p’tite bête!», répétait-elle. Tandis que nous nous promenions dans les rues de Cannes, où elle m’avait fait découvrir le fameux masque de fer, accroché discrètement en haut d’une porte, et le marché aux puces, où elle se procurait ses non moins célèbres broches en forme d’insectes pour sa marmite de sorcière, elle m’a dit qu’avec ses collègues André Lavoie et François Lévesque, elle allait parler de moi à Louise-Maude Rioux Soucy, qui dirigeait les pages culturelles du Devoir à l’époque. Chère Odile, je t’en dois toute une!

Texte de Michel Marc Bouchard

Il y a de ces gens dont on est sûr qu’on ne deviendra jamais ami. Non pas parce qu’ils sont antipathiques ou membres d’un parti conservateur. Non! Y a des gens qui nous impressionne au point qu’on ne peut s’imaginer un jour graviter dans leur constellation et encore moins s’imaginer qu’on se dira « mon chou » et « ma chérie ».

C’est en 2016 suite à une entrevue pour le journal le Devoir que cette journaliste unique en son genre, chroniqueuse infatigable, sociologue des âmes, littératrice des siècles, vadrouilleuse des plus grands festival dont celui de Rouyn-Noranda, que cette curieuse en tout m’a demandé si on pouvait se voir en dehors d’un cadre professionnelle. N’y voyez ici rien d’équivoque, elle était au courant que j’avais écrit Les Feluettes et Tom à la ferme.

J’ai eu donc eu le privilège de devenir son amie et de refaire le monde maintes et maintes fois avec elle.

Côtoyer Odile, c’est embrasser l’érudition dans tout ce qu’elle a d’infini. C’est parler de livres, de théâtre, d’art visuel, de politique culturelle. C’est prendre des marches avec Baudelaire, Balzac, Lafontaine et Proust. C’est l’entendre réciter Nelligan, Rimbaud et Miron.

Depuis 1990, nous avons toutes et tous eu la joie de la lire dans le journal le Devoir, d’embrasser son regard oblique sur les arts et la société, de saluer son immense culture, de savourer son amour indéfectible de la langue et l’élégance voire la poésie avec laquelle elle la magnifiait. Sa dévotion pour le cinéma, la proximité

qu’elle a su créer avec ses artisans, les témoignages sur leur parcours demeurent à tout jamais des références. Ses textes nous ont rendus meilleurs.

Elle nous aura enseigner la perspective des choses, l’argumentaire, la dialectique. Jamais abrasive, profondément honnête, là où d’autres usaient de phrases lapidaires, Odile transformait tout en fins questionnements.

Son départ du Devoir, sans tambour, ni trompette, sans hommage, ni bouquet, a suscité chez moi beaucoup plus que la fin d’une agréable habitude de lecture, elle a provoqué une vraie tristesse

Elle se demandait depuis quelques temps si elle avait encore quelque pertinence, voire s’il y avait encore un lectorat pour ses écrits. Je crois que la somme de témoignages reçus suite à son départ du Devoir l’a surement rassurée dans l’écriture de son premier livre qui sortira dans quelques semaines chez Boréale sous le titre Le Bestiaire à pas perdu.

Au-delà de ses allures raisonnables, côtoyer cette lauréate des Prix Jules-Fournier et Judith-Jasmin, c’est aussi entré dans un monde insoupçonné et inquiétant fait de chaudrons de sorcières, d’araignées menaçantes, de diablotins aux regards vicieux et de crapauds glanés aux quatre coins du monde. Côtoyer Odile c’’est tenté d’avoir l’air super intéressé lorsqu’elle nous parle de ses grigris et de leur pouvoir et de voir son visage se transformer.

Côtoyer Odile, c’est oublier la notion du temps. C’est marcher sur une rue pendant des dizaines et des dizaines de minutes afin de se rendre à une voiture… qui n’existe pas.

– Y est où ton char, Michel Marc ?

– Y est où le tien, Odile?

– J’ai pas de char.

– Moi, non plus.

– Je sais pas conduire.

– Moi non plus.

Sans ces questions posées, nous serons encore en train de marcher jusqu’au bout de l’horizon.

Chère Odile, au-delà de l’amitié, je suis de la pléiade de fidèles lecteurs et lectrices, de la cohorte d’écrivains, de cinéastes, de penseurs, de littérateurs, d’hommes et de femmes des arts vivants d’ici et de partout au monde que tu as mis en lumière. Je suis de ce peuple de lecteurs et de lectrices qui te dis merci pour tout, ma chérie.

Michel Marc Bouchard

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