Rouyn-Noranda, le 28 octobre 2023 – Le Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue rendra hommage à trois personnes exceptionnelles qui ont laissé une empreinte indélébile sur la scène culturelle locale. Cette année, le Festival mettra en lumière les contributions inestimables de Madeleine Perron, de Sandy Boutin et de Steve Jolin, alias Anodajay.
Madeleine Perron, que toute la région appelle affectueusement « Mado », est l’une des importantes bâtisseuses de l’ombre de l’écosystème culturel témiscabitibien. Mais si toute la région la connaît, est-elle vraiment une travailleuse « de l’ombre »? Mado est avant tout une humaine admirable, douce, généreuse, ouverte d’esprit ainsi qu’une organisatrice et gestionnaire rigoureuse et dévouée.
C’est après des études en communication à Jonquière, au début des années 80, que Madeleine Perron démarre sa carrière professionnelle.
Née au centre-ville de Rouyn-Noranda, elle revient s’installer ici pour faire ses débuts à la radio communautaire CIRC MF, à titre d’animatrice, journaliste, puis directrice de la programmation. Mais comme dans toute bonne organisation communautaire, il faut être touche à tout pour réussir. C’est une fabuleuse école pour elle.
En 1985, le monde de la culture lui ouvre grand les bras alors que le Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue développe sa structure et ouvre un poste à la coordination. Madeleine s’installe aux fameux bureaux du FCIAT situés au bas du Théâtre du Cuivre. De là, elle débute un travail colossal de bâtisseuse du domaine de la culture régionale, bien qu’elle opère de manière plus discrète que ses trois leaders. Elle y demeure durant sept ans, soit jusqu’à 1992.
Durant ces sept années, c’est l’époque pré-Internet et c’est une époque d’effervescence et de grandiose pour le FCIAT. Une époque où tout est possible, où la nouveauté du FCIAT permet de rêver grand! Les médias québécois viennent visiter le festival chaque année et l’équipe met toute la gomme pour recevoir des artistes de haut calibre, qu’ils soient d’ici ou de l’international.
Bien sûr, les trois mousquetaires travaillent tous très fort, mais, en coulisses, Mado travaille aussi énormément afin de donner une vision et une direction précise à l’événement encore tout jeune. Elle s’affaire aussi à coordonner les déplacements, transports par avion, les visites de mise en valeur de la région, les hôtels, les événements, les visionnements… La tâche est colossale! Ce travail demande un investissement personnel sans borne. Imaginez-vous, si vous êtes plus jeunes, ou souvenez-vous, si vous êtes plus sages : tout se faisait au téléphone, puis par fax ou par telex, sinon par la poste. Mais l’instantanéité des réseaux sociaux et d’Internet n’était pas encore arrivée. Coordonner des visites d’invités d’Europe signifiait de devoir se rendre disponible à des heures pas possibles, en dehors des heures de bureau conventionnelles, pour attraper au téléphone des vedettes et leurs équipes qui étaient déjà énormément occupées et en demande.
Bref, ce don de soi, elle le fait par amour pour la culture, par conviction pour la région. Elle est inspirée à l’idée de participer à une oeuvre plus grande qu’elle-même. Ce genre de dévouement, c’est l’empreinte des plus grands bâtisseurs et bâtisseuses.
Ce travail acharné contribue grandement à amener de nouvelles manières de financer les événements culturels dans la région. C’est l’une des marques que Mado laisse sur le Festival du cinéma, mais aussi sur tout l’écosystème culturel régional qui s’inspire des manières de fonctionner du FCIAT. Il faut comprendre qu’au début des années 80, l’entreprise privée ne finance pas la culture. Ce n’est pas non plus dans les habitudes d’organismes publics comme Hydro-Québec. Additionnez à cela le fait que l’industrie minière régionale traverse un certain creux économique au cours des années 80, créant un ralentissement. Lancer un festival culturel à cette époque est un risque fou. La solution du FCIAT? Aller chercher des partenaires commanditaires, afin d’arriver à faire vivre le festival, afin d’aller au bout des rêves de ses trois dirigeants et d’arriver tous ensemble à un même but : changer l’image négative qui était accolée à la région dans les médias depuis plusieurs années.
En convaincant d’importants partenaires financiers de s’impliquer et d’accoler leur nom à cette image régionale en pleine renaissance, en entretenant d’excellentes relations avec ces partenaires ou encore en organisant des événement intra-festival pour ces derniers, Mado contribue à faire de l’Abitibi-Témiscamingue une terre culturelle.
Ce succès du FCIAT amène les grands médias à parler de la région d’une manière positive, avec des étoiles dans les yeux, avec l’excitation de venir y rencontrer la crème de l’industrie cinématographique, avec la distinction et la qualité des grands événements culturels internationaux.
Cette recette, que Mado a grandement contribué à écrire et à tester sur le terrain, a ensuite fait école. Les festivals régionaux qui ont suivi ont pris exemple sur le FCIAT, que ce soit le Festival de musique émergente, le Festival des guitares du monde ou encore Osisko en lumière, pour ne nommer qu’eux. Leurs modèles sont effectivement grandement inspirés des réussites du FCIAT.
Mais, comme toute bonne chose a une fin, c’est le passage à l’informatique qui pousse Mado à vouloir changer de mission. En 1991-1992, le festival amène des ordinateurs dans le décor et on sait qu’à cette époque, on est encore très loin de la technologie pratique, simple et efficace qu’on a aujourd’hui
Madeleine Perron part donc rejoindre Jacques Marchand chef de l’Orchestre symphonique régional (OSR). De nouveau, elle touche à tout et s’impose comme une coordonnatrice essentielle et passionnée. Elle organise des tournées, fait du booking de spectacle… Bref, elle embarque à 100% et rend possibles tous les grands projets du chef d’orchestre et de ses musiciens.
Se faisant, elle commence à avoir plus directement accès aux différents intervenants culturels des ministères en place. Auprès des fonctionnaires de la culture, elle doit commencer à plaider pour un statut particulier pour les musiciens classiques de la région.
Dans les grands centres, les orchestres symphoniques sont financés notamment afin d’aider les musiciens professionnels qui les composent à vivre de leur art. Mais dans la région, il est impossible de vivre uniquement de la musique classique. Les musiciens ne sont donc pas considérés comme de véritables professionnels et ne peuvent pas recevoir le même genre d’aide financière que dans les grands centres.
Mado Perron se fait lentement l’avocate des artistes d’ici afin que leur statut d’artiste en région non seulement éloignée, mais aussi isolée, soit reconnu dans toute son unicité.
En 1994, d’ailleurs, d’importants changements surviennent dans le financement de la culture lorsque la remise de subventions est placée entre les mains du CALQ et de la SODEC. Pour Madeleine, c’est un nouveau défi : elle doit faire reconnaître le statut des artistes d’ici à ces nouvelles instances. Elle livre de nouveau ce combat avec vigueur.
En parallèle, elle est recrutée par le Conseil des artistes en arts visuels de l’Abitibi-Témiscamingue, fondé en 1989, qui caresse l’ambition de mettre sur pied un centre d’art multidisciplinaire. Ce lieu deviendra L’Écart, lieu d’art actuel. Ingénieuse, Mado arrive à mettre en commun des ressources de l’OSR et de L’Écart afin que des bureaux soient partagés et que des tâches soient effectuées en collégialité.
Mme Perron accumule les vocations. Elle devient simultanément la défenseure des musiciens classiques, des artistes visuels et des artistes contemporains auprès d’instances provinciales et fédérales . Imaginez l’audace que ça nécessite : faire reconnaître le statut et l’importance de musiciens classiques et d’artistes iconoclastes en région éloignée auprès d’instances qui regardent la région et son écosystème de loin, de très loin, de Québec, de Montréal ou d’Ottawa…
Mado fait partie de ces personnes qui sont montées aux barricades pour nous afin que notre voix soit entendue et reconnue, afin de faire de notre écosystème culturel régional ce qu’il est aujourd’hui. Tout ça, elle l’a réussi avant même de devenir la directrice du Conseil de la culture de l’Abitibi-Témiscamingue.
C’est donc dire que lorsque M. Jean Arsenault prend sa retraite du CCAT en 2002, Madeleine est la personne indiquée pour continuer son travail. Elle vient tout juste de terminer deux ans de travail auprès du ministère de la Culture. Elle a déjà ses armes aiguisées et ses victoires sur son blason. En obtenant un poste d’influence de cet acabit, elle peut continuer à consolider notre écosystème culturel régional. Rendue à cette étape, l’un de ses objectifs est de rendre accessible à tout un chacun le CCAT et ses services, de le rendre visible, de lui faire jouer un rôle concret dans la vie des artistes.
Ironiquement, la technologie qui avait été sa bête noire au festival du cinéma devient l’une de ses priorités, de ses chevaux de bataille. Elle voit dans le pouvoir de l’Internet un outil pouvant grandement contribuer à rapprocher l’Abitibi-Témiscamingue du reste du Québec et même du Canada.
Elle participe activement à l’élaboration d’initiatives comme le Forum avantage numérique, qui perdure encore aujourd’hui et qui contribue grandement au réseautage de la région avec le domaine numérique culturel, qui nous permet d’être au même degré d’avancement technologique que tout autre territoire. Madeleine s’assure aussi de « rapetisser » notre énorme région, afin que tous les secteurs se sentent concernés par la culture et qu’ils soient tous couverts et servis par le CCAT. Parce que la culture, ce n’est pas l’affaire d’un seul centre, c’est l’affaire et la contribution de toute une région.
Madeleine Perron est l’une des grandes bâtisseuses de cette toile culturelle qui unit la région et, bien qu’elle ne l’admettra jamais elle-même par sa grande humilité, son influence a été majeure afin de rendre notre écosystème culturel aussi plein de vitalité, de créativité, de force, d’unicité et même de solidarité qu’il l’est aujourd’hui. Pour tout ça, Mado, aujourd’hui nous te disons merci!
Félix B. Desfossés
Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue
Rouyn-Noranda, octobre 2023
Sandy Boutin ne se destinait aucunement à une carrière pouvant le mener vers le monde de la musique avant l’année 2003. Cependant, les 20 dernières années l’ont mené au sommet de l’industrie musicale et culturelle québécoise, à titre de producteur, agent d’artiste et cofondateur du Festival de musique émergente en Abitibi-Témiscamingue (FME).
Né au village de D’Alembert en 1976, maintenant un quartier rural de la Ville MRC de Rouyn-Noranda, il se passionne pour la politique dès l’adolescence.
Indépendantiste convaincu, il milite au sein Parti Québécois, plus précisément aux côtés du député de la circonscription de Rouyn-Noranda-Témiscamingue, Rémy Trudel, en 1994. Il n’a alors que 18 ans! En 1995, il se donne corps et âme pour la campagne référendaire.
Au cours de la deuxième moitié des années 90, il continue de s’impliquer en politique et pense en faire sa vocation. Il se lance dans des études supérieures en Science politique. Réalisant que ce domaine universitaire n’est pas pour lui, il abandonne le projet et part en voyage, à la conquête du monde. De retour au Québec, il fait de constantes allées et venues entre Rouyn-Noranda et Montréal.
Au tournant des années 2000, il débute un bac en gestion à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, au campus de Rouyn-Noranda. Dès lors, il s’implique dans l’Association étudiante. L’une de ses tâches est d’organiser les spectacles de la rentrée de l’UQAT. Il organise ainsi ses premiers spectacles. En parallèle, il travaille de nouveau auprès de certains ministres du gouvernement Landry dont Gilles Baril, Richard Legendre et Rémy Trudel. À cette époque, l’une de ses plus grandes réussites réside dans l’organisation d’un colloque sur les relations de travail, à l’UQAT, auquel le grand orateur et syndicaliste Michel Chartrand participe, offrant un discours à la population de Rouyn-Noranda.
Avide maniaque de musique, M. Boutin fait régulièrement la route vers Montréal pour assister à des concerts avec des ami.e.s. Un certain soir, alors qu’il est en voiture en compagnie de ses amies Jenny Thibault et Karine Berthiaume, une idée naît. Ils vont organiser un festival de musique à Rouyn afin de faire venir la musique à eux, plutôt que d’avoir constamment à se déplacer pour aller à elle.
C’est ainsi que le Festival de musique émergente voit le jour en 2003.
L’un des partenaires de la première heure du FME est Pierre Thibault, alors propriétaire de l’étiquette de disques C4, à Montréal. On ne saurait raconter l’histoire du festival sans mentionner son influence, notamment avec l’aide qu’il amène à la programmation. Mais M. Thibault joue aussi un rôle pivot dans la vie professionnelle de Sandy Boutin. En 2003, la boîte de disques C4 est en expansion. Pierre Thibault signe un jeune groupe nommé Karkwa. Pierre propose à Sandy de s’occuper de cette nouvelle formation. Le premier album de Karkwa est lancé au cours de l’automne 2003, quelques semaines à peine après le premier FME.
C’est donc dire qu’en quelques mois, voire quelques semaines, la vie de Sandy Boutin est complètement chamboulée. Il se retrouve président d’un festival musical et s’occupe d’un groupe dont il devient officiellement gérant en 2004. Le reste de son chemin professionnel est alors tracé en grande partie.
Avec les années, le FME devient un festival majeur à Rouyn-Noranda, attirant des milliers de festivaliers d’un peu partout en province chaque année. Et, lentement, l’événement s’impose comme un maillon important de l’industrie musicale québécoise, particulièrement en ce qui concerne le développement de ses liens avec l’Europe. En effet, le FME sert aussi de vitrine sur la musique d’ici pour plusieurs producteurs de spectacles, de festivals et de disques d’Europe francophone, et ce, à l’initiative de M. Boutin qui entretient des liens étroits avec la France.
Pour toute une génération de témiscabitibiens et témiscabitibiennes, le FME devient une fierté, une raison de s’identifier à Rouyn-Noranda, et même, pour certains, une raison de revenir s’établir dans la région.
En parallèle, à l’échelle nationale, Sandy Boutin développe la carrière du groupe Karkwa, ainsi que les projets solo du chanteur, Louis-Jean Cormier, et du percussionniste, Julien Sagot. C’est aussi d’une manière toute naturelle, via la famille élargie de Karkwa, que l’auteure-compositeure-interprète Marie-Pierre Arthur est recrutée par Sandy.
Avec cette écurie musicale de la plus haute qualité, M. Boutin développe des projets d’albums qu’il matérialise avec sa propre maison de disques, Simone records, fondée en 2006.
Par ailleurs, entre 2006 et 2022, des projets musicaux auxquels il est lié de près ou de loin récoltent pas moins de 98 nominations au Gala de l’ADISQ. C’est énorme. Parmi celles-ci, le Festival de musique émergente reçoit neuf nominations à titre d’Événement de l’année, repartant avec le trophée à cinq reprises, un accomplissement qu’aucun autre festival n’a atteint depuis la création de cette catégorie! En ce qui concerne Simone records, la maison de disques dirigée par M. Boutin récolte en tout et partout une vingtaine de nominations à l’ADISQ et, de ce nombre, obtient quatre statuettes récompensant son travail soit à titre de producteur de disques, de maison de disques ou de producteur de spectacles.
Parmi les artistes représentés par Simone records soit sur disque, en gérance, en production de disque ou de spectacles, on compte notamment Hubert Lenoir, Ariane Moffat, Les Soeurs Boulay ou encore Les Hay Babies, sans oublier ses protégé.e.s des premières heures, Karkwa et Louis-Jean Cormier ainsi que Marie-Pierre Arthur.
Avec les années, le rouynorandien s’implique auprès de plusieurs conseils d’administration, notamment ceux du Conseil de la culture de l’Abitibi-Témiscamingue, de la SODEC, de Musicaction, du Fonds RadioStar, des Francouvertes ainsi que de l’ADISQ. Il insuffle ainsi à l’industrie musicale d’ici une dose d’énergie, de grandeur, de rêve.
En 2019, Sandy fait le grand saut hors du monde de la musique afin de remplir d’importants mandats auprès des ministères de la Culture et des Communications puis du Tourisme.
En 2023, il est de retour à temps plein dans le domaine de la musique.
Sandy Boutin incarne parfaitement l’audace témiscabitibienne, celle des pionniers, l’esprit créateur et frondeur des bâtisseurs d’autrefois, tout en affirmant une fierté régionale moderne, sans borne, décomplexée. M. Boutin est un entrepreneur culturel exemplaire et inspirant, un modèle pour la région, mais aussi à l’échelle du Québec. Son apport à notre identité régionale est majeur, c’est pourquoi nous soulignons et reconnaissons aujourd’hui l’importance de son travail.
Félix B. Desfossés
Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue
Rouyn-Noranda, octobre 2023
Steve Jolin est né le 7 du 7e mois de 1977. Le chiffre sept fait d’ailleurs grandement partie de son histoire, à commencer par le nom même de son étiquette de disques, 7ième Ciel records. Mais il n’a pas eu besoin de la chance que porte le chiffre sept pour réussir. Cet artiste et entrepreneur culturel acharné n’a que son ardeur au travail à remercier.
En 2023, 7ième Ciel records fête son 20e anniversaire, et ce, en grand! C’est avec un spectacle grandiose au Centre Bell de Montréal – dans quelques jours à peine, le 10 novembre prochain – que le jubilé sera célébré. Tout ça alors que la culture hip-hop, qu’il représente, célèbre ses 50 ans.
Bien qu’il ait grandit à Rouyn-Noranda, sa famille et lui ont résidé en Ontario durant quelques années et c’est là, à l’âge de 12 ans, à la toute fin des années 80, qu’il découvre la culture hip-hop. Il commence immédiatement à écrire des textes. Il rêve de devenir un rappeur professionnel.
De retour à Rouyn-Noranda au cours des années 90, il donne ses premiers spectacles rap en s’intégrant à des événements punk underground. Puis il part vers Sherbrooke où il étudie en enseignement durant quatre ans avant de revenir s’installer dans la région.
Non seulement devient-il enseignant en éducation physique au secondaire ainsi qu’entraîneur de basketball – ce sport étant son autre grande passion -, mais il lance aussi officiellement sa carrière de rappeur sur disque en 2003 sous le nom d’artiste Anodajay.
Par le fait même, ayant essuyé de nombreux refus de la part de maisons de disques établies, il lance sa propre compagnie de production indépendante, 7ième ciel records. On voit déjà chez lui poindre le profil d’entrepreneur culturel.
En 2006, c’est la consécration. Alors qu’il a à peine 29 ans, il obtient son premier grand succès avec son adaptation du grand cru de chez nous La bit à Tibi, qu’il interprète en duo avec l’auteur de la pièce, le valdorien Raoul Duguay. Avec Le beat à Ti-Bi, ils donnent une deuxième vie à ce classique québécois.
Cette envolée permet à Steve de voir plusieurs portes de l’industrie musicale québécoise s’ouvrir à lui. Entrepreneur dans l’âme, il saisit l’opportunité pour mousser sa carrière, oui, mais aussi pour propulser celles d’autres artistes qui œuvrent dans son créneau. Ainsi, il lance coup sur coup les premiers albums de Samian, Koriass, Dramatik et Manu Militari.
Bien que ses premiers pas dans l’industrie soient fructueux auprès des médias, des palmarès et du public, le témiscabitibien fait tout de même face à une véritable adversité venant directement de son milieu musical. Il faut comprendre que la culture hip-hop est née dans un contexte urbain et s’est généralement développée dans cette réalité. Une certaine levée de boucliers s’opère lorsque M. Jolin perce le marché musical en mettant de l’avant son identité rurale, régionale, assumant complètement que c’est à partir de Rouyn-Noranda, encore plus précisément d’Évain, qu’il mène son entreprise culturelle.
Mais plutôt que de se laisser atteindre par les critiques, Steve redouble d’efforts afin de prouver qu’il a sa place parmi les grands de la culture hip-hop. Non seulement continue-t-il de lancer des albums de collègues rappeurs respectés du milieu, mais il récidive avec son troisième et dernier disque à ce jour, en 2010. Cette production lui vaut un autre méga succès en 2011, remporté avec la pièce Jamais su, mettant de l’avant une collaboration avec la valdorienne Diane Tell et son succès Souvent, longtemps, énormément.
Le tournant de la décennie 2010 voit aussi la culture hip-hop changer au Québec. De nouveaux visages arrivent et donnent à ce mouvement un nouveau souffle plus accessible. Steve Jolin et les disques 7ième ciel se positionnent au centre de ce renouveau en ajoutant à l’écurie des artistes comme Alaclair ensemble, mais aussi, et surtout, FouKi, qui explose et devient en quelques temps le nom le plus populaire du hip-hop au Québec. Tout ça, sans oublier qu’il prend sous son aile le jeune rappeur et chanteur rouynorandien d’origine Zach Zoya, lui permettant de développer une carrière qui ne cesse de prendre de l’ampleur. Il ajoute aussi le rappeur de Québec Souldia, extrêmement populaire, à son équipe, pour ne nommer que lui.
Derrière toutes ces réussites se cache un travail colossal, acharné. Steve est rappeur, producteur de disques, producteur de spectacles, gérant d’artiste… et quoi encore!
Ses réussites le mènent à s’impliquer auprès des conseils d’administration de l’ADISQ et de la SODEC, auprès de laquelle il occupe toujours le poste de président de la Commission du disque et du spectacle. Pendant un certain temps, il siège aussi sur un comité du Conseil des Arts et Lettres du Québec (CALQ). Ainsi, non seulement contribue-t-il à créer une place de choix pour la culture hip-hop à l’intérieur de l’écosystème culturel québécois, mais il représente aussi la région, voire les régions du Québec, ainsi qu’une forme d’indépendance musicale.
En 2014, afin de diversifier ses activités encore plus, il met sur pied une nouvelle étiquette de disques, 117 records. Avec cette entité, il lance les albums d’artistes hors du créneau rap, que ce soit avec le rock du groupe abitibien Lubik ou encore avec le chanteur folk/pop Jay Scott qui connaît un énorme succès en solo ou en compagnie de FouKi.
117 records voit l’un de ses projets récompensé par l’industrie musicale provinciale. En 2018, l’ADISQ lui remet le Félix pour « Album de réinterprétation de l’année ». Il s’agit d’un album hommage à Richard Desjardins dont Steve a piloté la production. À ce moment, une relation se développe entre l’entrepreneur et l’auteur-compositeur interprète. En 2023, Steve Jolin prend les rênes de la gérance de Richard Desjardins et de son entreprise.
Par ailleurs, l’ADISQ reconnaît massivement le travail de l’Évainois et des disques 7ième ciel. Au total, ses activités ainsi que celles des artistes qu’il représente cumulent près de 95 nominations au gala de l’ADISQ entre 2007 et 2022. Plus d’une vingtaine de ces nominations concernent directement son travail en tant qu’artiste ou producteur. Il remporte notamment une statuette dans la catégorie « maison de disques de l’année » et pas moins de trois autres trophées dans la catégorie « entreprise de production de disques de l’année ».
Steve Jolin a toujours assumé son identité témiscabitienne, envers et contre tous. Il a largement contribué à créer une espace favorable à la culture hip-hop au Québec, elle qui a mis tant de temps à percer, mais qui occupe maintenant une part dominante du marché musical populaire. Son travail incessant a donc permis à une culture musicale dite en marge d’émerger et d’atteindre des sommets, tout en permettant à une région, la nôtre, de prouver qu’elle peut avoir une influence marquante sur l’industrie musicale autant que n’importe quel grand centre. Pour toutes ces raisons, nous saluons aujourd’hui les réussites du rappeur et entrepreneur culturel Steve Jolin.
Félix B. Desfossés
Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue
Rouyn-Noranda, octobre 2023